L’association La Belle Epoque
a le grand plaisir de vous inviter à l’exposition
Œuvrer dans l’ombre : Une lumière.
Exposition d’Edith L’Haridon.
VERNISSAGE LE SAMEDI 14 JANVIER 2023 DE 16h à 20h30 à L’isolée.
Exposition visible du 14 janvier 2023 au 24 février les vendredi et samedi de 15h à 18h30 ainsi que sur rendez-vous en nous contactant au 06.09.96.71.47 ou labelle.epoque@free.fr
A L’isolée (galerie de La Belle Epoque) 17 chemin des Vieux Arbres 59560 Villeneuve d’Ascq
(Métro Hôtel de Ville, sortie Porte de la Salamandre du centre V2)
L’exposition est construite autours du « Grand retable » ci-dessus ainsi qu’une série de plus petites pièces récentes sur carnet.
Dossier de présentation de l’exposition « Œuvrer dans l’ombre : une lumière » d’Edith L’Haridon, du 14 janvier 2023 au 25 février 2023 à L’isolée (galerie de l’association La Belle Epoque).
Il n’est pas évident, voire peine perdue de vouloir présenter en un texte plus de quarante années de travaux textiles d’Edith L’Haridon qui, pour la plupart, vivent loin des yeux du public, proprement rangés dans l’appartement-atelier de l’artiste. Edith L’Haridon ne s’est jamais projetée dans « les mondes de l’art » et la compétitivité des galeries. C’est presque par hasard que nous nous sommes rencontrés par l’entremise des collectionneurs Philippe et Dominique Mons. Ses premiers mots furent : « de toute façon mon travail ne parle pas aux galeries. » & « Je fais les choses dans mon coin par nécessité intérieure » exprimant ainsi l’intrication permanente de sa pratique et de ses voyages, rencontres, amours, déceptions. Intrigué, je lui ai proposé de passer à une de nos inaugurations afin de se faire une idée de l’état d’esprit des expositions dans notre association. Pour nous prime la passion et la qualité des travaux présentés avant toutes velléités financières et cela d’une manière libre de contraintes extérieures, la galerie étant volontairement non-subventionnée.
C’est à croire que notre pertinence/impertinence a su parler à l’oreille d’Edith, car c’est avec générosité et volonté d’échange qu’elle nous a ouvert les portes de ses placards afin de découvrir, au compte-goutte, une œuvre toujours en lien étroit avec sa vie. Edith L’Haridon a organisé sa vie, son travail et ses voyages autour de la nécessité de prolonger son œuvre. Depuis sa Bretagne d’origine elle devient professeur d’allemand et de français et organise sa « carrière » (le mot la ferait rire) en allant enseigner en Afrique ou au Japon ou suivre un stage en Provence, attirée par des techniques de couture, broderie, montage de perles mais désireuse également d’approfondir ses connaissances sur les matériaux spécifiques et symboliques de ces techniques « traditionnelles » (fils de soie pour la broderie zen, crochet, laines cardées, boutis…). Pourtant les travaux qu’elle en tire sortent pleinement d’un traditionalisme par un mixage permanent entre différentes techniques et débordements, par l’ajout de matériaux non nobles ou plutôt anoblis par une pratique subtile (voir l’introduction de kleenex ou sacs poubelle en plastique dans ses compositions).
Ses travaux sont fragiles, périlleux et sublimes à l’image de l’artiste face à la société. Comme elle, l’œuvre oscille entre aristocratie et dissidence. Cette dissidence n’est en rien moraliste mais explore la lutte permanente que chacun vit entre les désirs que les cultures provoquent et la douleur de ne jamais se sentir parfaitement à sa place dans ce monde, dans cette époque. « La lutte » convient parfaitement à l’œuvre d’Edith qui en mixant imageries religieuses, mythologies, culture zen japonaise, bel-ouvrage de dames provençales, littérature moderne, matériaux classiques et matériaux vernaculaires de notre temps, tente, par le fil, de relier ses influences diverses (époques, géographies, cultures) dans une œuvre qui lutte contre la normalisation et l’enlisement communautaire. Son œuvre ne cherche pas à ressembler ; elle cherche à être : là est la lutte, dans sa résistance aux futilités des modes et des normes éphémères. Elle s’affirme et existe par et avec son œuvre en devenir. Quoi de plus honnête ?
La rencontre avec Edith s’est faite il y a maintenant trois années (même si les deux années de confinement restent comme un trou béant dans la chronologie ; surtout pour elle qui a fait face à encore plus de solitude qu’à l’ordinaire). Les premières découvertes des trésors insoupçonnés ont donné lieu à quelques présentations dans des expositions collectives autour de ses grands travaux « animaliers », mais surtout à une belle exposition avec des œuvres de Gérard Duchêne qui explore la matérialité de l’écriture dans l’au-delà de la lecture, l’écriture comme geste premier et non comme littérature. Ce fut l’occasion de mettre en valeur une série de petites pièces se jouant de la tradition colorée et souvent rococo du boutis provençal. Ces pièces mêlaient figures animales mythologiques, saintes martyres dans des lieux découverts par l’artiste au cours de ses voyages le tout en un matelassage subtil de blanc sur blanc toujours enrichi de l’ajout d’un fil rouge et d’un fragment de broderie ou crochet chiné en brocante ou braderie. Autour de ses petits formats nécessitant énormément de savoir- faire et de patience était également présentée une série de monotypes d’encre de chine sur toile de coton renvoyant directement à des motifs antiques bien plus « brut » techniquement que les boutis et une série de quatre kakemonos qui, eux, renvoient dans un même geste perles africaines, broderie zen, rune ancienne et lutte sensuelle. C’est le public, qui via des achats lors de ces présentations, nous a permis de commencer à rêver de mettre en valeur et présenter de plus grandes séries de l’artiste.
Aujourd’hui nous sommes heureux de pourvoir présenter correctement le grand ensemble du retable aux saintes martyres : un ensemble de onze figures construites sur de grands kakémonos de textiles lourds à base d’un mélange de laine cardée brute travaillée en volume, de broderies et de collages. Les figures grotesques y côtoient des bêtes fabuleuses où la grande tradition se pare d’anecdotes pas si futiles. L’ensemble est magistral tout en restant touchant et sensible. La fresque présentée est tout aussi jouissive que terrifiante. L’artiste y assume pleinement une féminité non- soumise plus qu’un féminisme militant. Simplement elle est féminine, se jouant ainsi de l’ouvrage de dame comme de la figure féminine de la tradition judéo-chrétienne. Les saintes s’y font sorcières sauvages et effrontées dans le moelleux et les arrondis mous de la laine cardée brute. L’exposition se construit autour de cet ensemble majeur ainsi qu’autour d’une sélection d’ouvrages plus récents qui souvent investissent le carnet à dessin tout en le détournant pour se servir de la spirale qui le relie comme support. C’est le lieu pour l’exploration d’improvisations en volume qui s’accrochent avec fragilité, par un fil à la spirale. Dans ses pièces seul le fil construit l’œuvre. La main suit ce qui semble devenir possible selon les matériaux utilisés (fils de soie, de laine ou de pêche). La manière dont ceux- ci prennent place fait émerger de nouvelles figures qui, une fois reconnues par l’artiste, se retrouvent parées de leurs atours. Ce geste qui cherche à se perdre par l’exploration lascive finit par se définir dans un mélange de cultures et de souvenirs personnels renvoyant à la vie de l’artiste, ses intérêts et ses expériences.
L’enjeu pour nous dans cette exposition est d’une part totalement égoïste (du plaisir de mettre en place et profiter de ces œuvres si rares) et d’autre part l’espoir de rendre aux regards une œuvre aux multiples ouvertures. Une œuvre qui possède une belle potentialité d’interprétations partageables avec un large public. Une œuvre qui porte la puissance d’un poignant témoignage offert par l’artiste, d’une vie traversant nos époques, sans s’y sentir enfermée. Nous espérons que le public sera au rendez-vous et qu’il viendra confirmer la beauté que nous pressentons dans cette œuvre, dans sa grande liberté d’être. Aujourd’hui, où Edith L’Haridon atteint un âge où l’avenir devient de plus en plus aléatoire, c’est le bon moment pour lui retourner l’intérêt que méritent de telles œuvres. Si aujourd’hui elle entre discrètement dans les collections publiques via un achat patrimonial du CNAP de trois petites pièces récentes, il reste de très nombreuses séries à découvrir et à mettre en valeur… Prenons cela pour la promesse de prochaines aventures.
David Ritzinger, Roubaix, décembre 2022.